Prêt à changer! Vraiment?
Paru le 12 octobre 2016
Par Louis Cournoyer, professeur en counseling de carrière et directeur de la Clinique Carrière à l'UQAM, conseiller d’orientation et superviseur clinique
Récemment, j’étais invité par un organisme en développement de la région de Saint-Jean-sur-Richelieu pour prononcer une conférence sur le thème « Osez le changement! ». Le changement, quand on y pense, n’est-ce pas le fondement, la raison d’être, le but premier de tout processus de développement personnel et professionnel? Que ce soit pour soi ou à titre de professionnel de la relation d’aide?
Pour moi qui pratique depuis 20 ans et enseigne depuis 10 ans la pratique de la relation d’aide appliquée à la carrière, la demande de tous mes clients ne revient qu’à une chose : identifier et réaliser un changement de manière à rendre leur vie plus satisfaisante.
Oser le changement…
« Oser », c’est provoquer, déranger, se provoquer, se déranger. « Changer », c’est transformer ses façons d’être, de faire ou de voir [1]. Conséquemment, oser le changement, c’est se provoquer, se déranger jusqu’à transformer ses façons d’être, de faire, de voir, de se voir…
Le changement peut être examiné sous différentes perspectives. D’abord, il peut représenter un but en termes de motivation à réduire la souffrance, l’insatisfaction et l’incongruité du présent au profit d’un projet aux espoirs salvateurs[2], [3], [4]. Donc, il faut ici la présence d’une « souffrance » (la souffrance de l’un n’est pas nécessairement souffrance de l’autre…), puis un but très clair, et enfin, des moyens d’action ou de réalisation. La souffrance est un état qui entrave la liberté individuelle, l’accès à une vie pleinement authentique et fidèle à qui l’on est.
Également, le changement peut constituer un constat en termes de prise de conscience, un constat du chemin en termes d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale[5]. En d’autres termes, les indicateurs les plus fréquents pour savoir si un changement est engagé, opéré et réalisé, sont l’accroissement de l’autonomie (optimisation de ses ressources personnelles et sociales), de la compétence (habiletés, capacités, savoir agir) et de l’affiliation sociale (qualité des relations sociales et des communications interpersonnelles, intégration parmi les autres) en interaction avec son environnement de vie.
Enfin, le changement peut être vu comme un processus, soit une suite d’actions cognitives et comportementales impliquant la gestion d’émotions et de sentiments variés. Ce processus est orienté vers la recherche d’une situation plus équilibrée, plus satisfaisante, plus congruente en termes de relation de soi avec le monde[6], [7], [8].
Résister au changement
La chose la plus importante à savoir sur le changement, c’est qu’il appelle avant tout à la résistance! Résister, c’est se donner l’espace pour mieux gérer, s’ajuster, se préserver et se protéger d’un déséquilibre[9], [10], et ce, par rapport à ce qui se passe en soi et en interaction avec son environnement. Comme le dit paradoxalement l’humoriste Pierre Légaré, les résistances sont « un trouble normal »!
Pour de nombreux auteurs[11], [12], [13], [14], les résistances prennent la forme d’attitudes et de comportements qui masquent les émotions et les sentiments de nos peurs, de nos doutes, de nos inconforts et de nos conflits. Plus forte est la résistance, plus grande est la tension ressentie entre ce qui était jusqu’alors (par ex. : une situation d’emploi, stable, sécuritaire, parfois insatisfaisante, mais tout de même connue) et ce qui advient maintenant (par ex. : la perte d’un emploi, l’ajustement à une nouvelle expérience, des pertes sur le plan du statut, du pouvoir d’achat, des relations interpersonnelles, etc.)
À l’instar des ruptures amoureuses, les changements de parcours et de trajectoires peuvent être choisis ou subis[15], [16]. Lorsqu’ils sont choisis, cela implique généralement que le travail de réflexion et d’engagement vers de nouvelles expériences et conditions est déjà réalisé. Par contre, lorsqu’il est subi, il est souvent lié à un événement soudain, parfois foudroyant, qui nous fait perdre notre équilibre de vie. Changer implique de s’adapter; s’adapter, notamment sur le plan de la carrière, c’est essayer, oser, expérimenter… et surtout, risquer[17], [18], [19], [20]). Il faut bien sûr s’adapter à de nouvelles situations et conditions, mais encore faut-il savoir les recevoir, les reconnaitre, les porter et, ultimement, les intégrer.
Intégrer le changement – Le modèle de Prochaska et Diclemente
En empruntant une perspective plutôt centrée sur les cognitions et les comportements, les travaux de Prochaska et de ses collaborateurs ont conduit à l’élaboration d’un modèle de changement en six phases[21], [22], [23]. Des tâches développementales sont à réaliser pour chacune des phases, et ce, que l’objectif soit d’arrêter de fumer ou de traverser une recherche d’emploi.
- Phase 1 — Précontemplation : Reconnaître la présence d’un problème, en accepter la responsabilité, avouer la nécessité de le modifier, manifester l’ouverture de confronter ses mécanismes de défense et ses habitudes à cet égard.
- Phase 2 — Contemplation : Choisir entre agir vers un bonheur incertain et se maintenir dans un malheur connu! Évaluer les avantages et les désavantages reliés au problème, les options envisageables, l’engagement dans de premiers pas, etc.
- Phase 3 — Préparation : Reconnaitre et établir des objectifs et des indicateurs de changement à travers un plan d’action plus ou moins clair et déterminé.
- Phase 4 — Action : Réviser ses pensées, ses croyances, ses attitudes et les actions menées tant sur soi que sur son environnement. Vivre ses premières expériences en l’absence d’un contexte antérieur auquel se référer et s’engager à en vivre de nouvelles.
- Phase 5 — Maintien : Faire l’expérience de la réussite, préserver et stabiliser ses acquis à plus long terme, prévenir les rechutes en anticipant les obstacles et leurs symptômes (croyances, émotions, etc.)
- Phase 6 — Conclusion : Intégrer une nouvelle expérience, transformer ses comportements, échafauder de nouveaux comportements, cognitions et modes de gestion émotionnelle.
Ce modèle témoigne à quel point le changement est un processus marqué d’essais et d’erreurs, d’avancées, de stagnations, sinon de reculs. En examinant les six phases, on constate à quel point la motivation et le soutien peuvent jouer un rôle significatif dans la persévérance.
Changer ne se résume pas à une simple question de volonté. C’est avant tout une question de mobilisation de cognitions (pensées, représentations, perceptions) et de comportements (actions, attitudes) en fonction de contextes spécifiques (structures, conjonctures, conditions), et ce, par la prise en compte du rôle d’influence des émotions et des sentiments. À cela peuvent bien sûr s’ajouter des enjeux de troubles mentaux et de perturbations comportementales pouvant alors nécessiter l’expertise de professionnels qualifiés.
Changer, c’est s’ouvrir à soi-même et accepter les difficultés, parfois même les souffrances, qui marquent notre existence. C’est s’engager dans une action authentique et sincère, où l’on distingue ce qui compte (lieu de contrôle interne, motivation intrinsèque) de ce qui est périphérique (locus de contrôle externe, motivation extrinsèque) à notre bien-être.
[1] Cournoyer, L. (2016a). « Osez le changement! », Conférence donnée à l’organisme Portes de l’emploi, Saint-Jean-sur-Richelieu, 15 septembre 2016.
[2] Boutinet, J.-P. (2005). Anthropologie du projet. Paris : Presses universitaires de France.
[3] Cournoyer, L., Lachance, L. et Dostie, S. (2016b). Motiver sa décision. Communication présentée dans le cadre du Colloque de l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle, 6 mars 2016, Québec.
[4] Ryan, R. M., et Deci, E. L. (2000). « Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being ». American Psychologist, 55(1), 68.
[5] Gagné, M., Forest, J., Vansteenkiste, M., Crevier-Braud, L., Van den Broeck, A., Aspeli, A. K., et coll. (2015). « The multidimensional work motivation scale : Validation evidence in seven languages and nine countries. » European Journal of Work and Organizational Psychology, 24(2), 178-196.
[6] Cournoyer, L., Lachance, L. et Samson, A. (2016). L’action décisionnelle de carrière : processus en deux dimensions, quatre tensions. Dans J. Masdonati et L. M.C. Bangali (dir.). Éducation et vie au travail : Arrêt sur image! Perspectives contemporaines sur les parcours d’orientation des jeunes (pp. 119-148). Québec : Presses de l’Université Laval.
[7] Gati, I., Krausz, M., et Osipow, S. H. (1996). « A taxonomy of difficulties in career decision making ». Journal of Counseling Psychology, 43(4), 510-526.
[8] Lent, R. W. (2008). « Une conception sociale cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle : considérations théoriques et pratiques ». L’orientation scolaire et professionnelle, 37(1), 57-90.
[9] Morin, E.M. (2008). « Un sens au travail?». Objectif Prévention, 31(2), 10-14.
[10] Morin, E. M., & Aranha, F. (2008). Sens du travail, santé mentale et engagement organisationnel : rapport. Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.
[11] Bareil, C. (2004). La résistance au changement : synthèse et critique des écrits. HEC Montréal, Centre d’études en transformation des organisations. Récupéré le 15 septembre 2016 de http://web.hec.ca/sites/ceto/fichiers/04_10.pdf
[12] Gati, Krausz et Osipow, op. cit.
[13] Gati, I., Amir, T. et Landman, S. (2010). « Career counsellors’ perceptions of the severity of career decision-making difficulties ». British Journal of Guidance and Counselling, 38(4), 393-408.
[14] Young, J., Klosko, J. et Weishaar, M. (2005). La thérapie des schémas. Approche cognitive des troubles de la personnalité. Bruxelles : De Boeck.
[15] Gati, Amir et Landman, op. cit.
[16] Bidart, C. et Lavenu, D. (2005). « Evolutions of personal networks and life events ». Social networks, 27(4), 359-376.
[17] Coslin, P. (2012), Psychologie de l’adolescent. Paris : Armand Colin.
[18] Germeijs, V. et De Boeck, p. (2002), « A measurement scale for indecisiveness and its relationship to career indecision and other types of indecision ». European journal of psychological assessment, 18(2), 113-122.
[19] Mitchell, L. K. et Krumboltz, J. D. (1996). « Krumboltz’s learning theory of career choice and counseling ». Dans D. Brown, L. Brooks et coll., Career choice and development (3e éd., p. 233-280). San Francisco : Jossey-Bass.
[20] Peterson, G. W., Sampson, J. P., Reardon, R. C. et Lenz, J. G. (1996). « A cognitive information processing approach to career problem solving and decision making ». In D. Brown, L. Brooks et associés (dir.), Career choice and development (3e éd., pp. 423-475). San Francisco : Jossey-Bass.
[21] Brodeur, N. (2006). Les stratégies de changement employées par des hommes ayant des comportements violents envers leur conjointe. Mesure et analyse à partir du modèle transthéorique du changement. Thèse de doctorat. Université Laval. Récupéré le 15 septembre 2016 de http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/23895/23895.html
[22] Prochaska, J. O., et DiClemente, C. C. (1983). « Stages and processes of Self-change of smoking : Toward an integrative model of change ». Journal of Consulting and Clinical Psychology, 51(3), 390-395.
[23] Prochaska, J. O., Norcross, J. C., et DiClemente, C. C. (2013). « Applying the stages of change ». Psychotherapy in Australia, 19(2), 10.