Le pouvoir — temporaire, contextuel et limité — des motivations extrinsèques

Paru le 07 novembre 2016

 
Inspiré d’une conférence intitulée « Demeurer motivé en recherche d’emploi : comprendre et mieux agir! », réalisée en octobre 2015 au Centre de carrière de l’École de gestion de l’Université du Québec à Montréal, et coanimée par Emmanuelle Desrosiers, conseillère d’orientation et coordonnatrice de la Clinique Carrière.
 
Dans cette chronique, il sera question du rôle de la motivation dans les croyances d’efficacité des individus en recherche d’emploi. Parmi les différents types de motivation, ceux que la littérature désigne comme « extrinsèques » (externes à l’individu) seront plus spécifiquement décrits. Nous verrons leur rôle sur la motivation des individus dans un processus de changement. Enfin, une démarche réflexive sera proposée.
 
La motivation d’une personne en regard d’une action donnée se développe tout au long de sa vie à travers des manifestations de liberté, de confiance, d’estime, de satisfaction, d’autonomie, etc. dans l’interaction continue entre soi et le monde (autour de soi, intégré en soi)[1].
 
Il existe un rapport intéressant entre les croyances d’efficacité d’une personne et sa motivation à entreprendre des actions de développement personnel et professionnel, notamment en recherche d’emploi. La manière dont l’individu pense, se perçoit et se représente lui-même en interaction dans le monde renforce ou limite ses émotions (constructives/destructives, fonctionnelles/dysfonctionnelles) face à l’engagement et à ses chances de succès ou d’échec[2]. L’auto-efficacité joue donc un rôle dans la résistance qu’oppose le bien-être affectif au stress et à la dépression.
 
Dans la chronique « Au cœur d’une motivation de carrière mobilisée et assumée », trois types de motivation sont présentés : intrinsèque, extrinsèque et amotivation. En recherche d’emploi, l’amotivation renvoie à la non-intention d’agir, au refus, à la résistance, à l’inaction portée par de faibles croyances en ses capacités de contrôle et de pouvoir, à l’absence de buts et conséquemment, de moyens. Cela ne marchera pas! À quoi ça sert? Il n’y a rien à faire! Je ne peux pas, je ne crois pas.
 
Dans une tout autre perspective de soi en interaction avec son monde, la motivation intrinsèque renvoie à l’engagement actif, sincère et congruent dans des tâches intéressantes (avant tout pour soi!) et en lien, non seulement avec des gains, mais avec sa façon d’être en matière de compétence, d’autonomie et d’appartenance sociale recherchée. Mes intérêts et mes ambitions, ce que je suis, ce que je veux continuer d’être, toute ma vie, est à ce point congruent que je me sens mobilisé, porté (sans pour autant avoir peur…) de mettre en œuvre des actions, de gérer et de franchir les difficultés afin d’atteindre mes objectifs.
 
Entre amotivation et motivation intrinsèque se trouvent quatre types de motivation extrinsèque :
  • Par « régulation externe » : c’est-à-dire par la recherche de récompenses ou par l’évitement de punitions. Je n’ai pas envie de chercher un emploi, je le fais pour avoir de l’argent, pour ne pas vivre dans la pauvreté et l’exclusion.
  • Par « régulation introjectée » : c’est-à-dire par l’adoption inconsciente d’attitudes, de comportements, de valeurs, de réactions (fierté, honte, culpabilité) liées à des personnes ou à des groupes significatifs ou des événements marquants. Je dois m’engager dans ma recherche d’emploi, sans quoi on pourrait me qualifier de paresseux, d’incapable; il faut que je sois…!
  • Par « régulation identifiée » : c’est-à-dire en posant une action ou en mettant de l’avant une valeur jugée importante, utile (santé, performance, satisfaction) et donc valable pour engager de nouvelles actions. Je veux trouver un emploi dans mon domaine, car cela va me permettre de progresser dans ma carrière, d’atteindre mes autres objectifs de vie : propriété résidentielle, famille, enfants, conditions économiques, statut, etc.
  • Par « régulation intégrée » : c’est-à-dire par l’adoption volontaire d’attitudes et de comportements conformes à notre identité, à nos buts et à nos ambitions à plus long terme. Je vais mettre en œuvre différentes stratégies de recherche d’emploi pour en arriver à trouver le type d’emploi que je cherche, parce que cela va me permettre de me sentir plus en confiance et en contrôle de ma vie professionnelle ».
Le niveau de motivation intrinsèque d’une personne est la principale variable prédictive des efforts investis dans la recherche d’emploi. Par contre, la motivation intrinsèque peut décliner après plusieurs mois d’efforts soutenus dans ses démarches. Alors, les motivations par régulation (intégrée, identifiée, introjectée et interne) peuvent prendre le relais momentanément pour soutenir et maintenir l’effort[3].  
 
Ma propre expérience professionnelle à titre de chercheur, de formateur et de praticien m’amène à conclure que la motivation intrinsèque est certes un moyen, mais surtout la « finalité » à toute action éclairée et orientée vers un changement satisfaisant et congruent. Cependant, les motivations extrinsèques, plus particulièrement les régulations identifiées (3e) et intégrées (4e), peuvent jouer un rôle important à titre de « moyens » — à court et à moyen terme – afin d’atteindre un but d’ordre intrinsèque. Par exemple, on peut considérer l’obtention d’un emploi donné comme une étape essentielle pour acquérir l’expérience nécessaire pour l’atteinte ultérieure du véritable emploi de rêve. Si des modalités externes de régulation peuvent être utiles, qu’elles peuvent faciliter l’atteinte éventuelle d’un objectif totalement intrinsèque; il y a un danger à rester trop longtemps mobilisé par des motivations extrinsèques. L’un des dangers est tout simplement d’accroitre chaque jour l’écart entre ce que la personne est, incluant ce qui la mobilise, et ce à quoi elle répond extrinsèquement, soit ce qui l’éloigne quotidiennement de qui elle est. À force de dépenser de l’énergie à être ce que l’on n’est pas, on s’épuise!
 

Démarche réflexive

En guise de piste de réflexion, je vous propose une évaluation systématique de la congruence entre votre action et un changement visé, ce que j’appelle « l’action congruente » (Cournoyer, 2016). Cette courte démarche réflexive en quatre étapes s’inscrit dans les fondements théoriques, empiriques et pratiques de la motivation. 
 
QUOI? Qu’est-ce que je veux faire? Qu’est-ce que je veux entreprendre pour changer ma situation actuelle? Est-ce que je suis en mesure de nommer clairement et concrètement le changement visé sous la forme d’une action exercée en regard d’un objet dans un contexte donné? Exemples :
  • Trouver un emploi me permettant d’« intervenir » (action) sur le « pouvoir d’agir » (objet) de « personnes aux prises avec des difficultés émotives » (contexte). 
  • Trouver un emploi me permettant de « mener des recherches » sur « la santé des individus » dans un « laboratoire ». 
  • « Construire » des « meubles sur mesure » dans un « atelier d’ébénisterie artisanale ».
POURQUOI? Qu’est-ce qui me conduit à ce projet, cette intention de changement? Comment un inventaire préalable de mes intérêts, de mes valeurs, de mes aptitudes et des autres traits de ma personnalité, sans oublier mes conditions et autres facteurs de réalité (ex. : situation financière, familiale, distance géographique), permet l’identification de facteurs plus spécifiques et fondamentaux dans le choix d’une action de changement dans ma vie personnelle et professionnelle? Pourquoi ce choix, ce projet, cette action de changement visé – ce que je veux faire — constituent une action « éclairée » au regard de ma situation, de qui je suis et de ce que je veux? Si vous n’êtes pas certain quant à pourquoi une telle action de changement est plus pertinente qu’une autre, ou qu’il subsiste toujours une impasse décisionnelle, peut-être devriez-vous retourner réfléchir, seul ou accompagné d’un professionnel qualifié, sur ce qui vous motive et vous mobilise le plus sur le plan intrinsèque.
 
COMMENT? Comment, c’est bien sûr « comment faire », c’est-à-dire bien connaître les étapes, les démarches et les activités à entreprendre pour réaliser l’action de changement convoité. C’est aussi « comment être », c’est-à-dire bien connaître ses angles morts et ses façons d’être et de fonctionner avec soi-même ou en interaction avec les autres, de manière à s’assurer que non seulement vous avez identifié une action de changement, mais que vous êtes en mesure de la maintenir à long terme. Par exemple, savez-vous comment, une fois dans l’action, vous serez en mesure de gérer votre tendance à l’impulsivité, à vouloir « vous pousser » lorsque vous avez peur « d’avoir l’air », de bien discriminer ce qui relève d’interprétations erronées d’une situation (ex. : j’ai eu deux mauvaises expériences dans mes démarches, alors je dois renoncer…)? Vous êtes le principal outil de votre recherche d’emploi. Connais-toi toi-même, disait l’autre… 
 
QUI? QUAND? OÙ? Une fois que vous savez « quoi », « pourquoi » et « comment » faire et être, alors vous pouvez entreprendre une action de changement dans le monde en identifiant clairement « qui » peut vous aider, qui vous devez rencontrer, « quand » vous devez réaliser ces actions, dans quel ordre, et « où » vous devez aller ou chercher.
 
En conclusion, la motivation est un phénomène complexe, mais aussi un catalyseur essentiel à toute action congruente et sensée. Dans « Pour une recherche d'emploi efficace! », je résume sept facteurs d’efficacité en matière de recherche d’emploi fondés sur une recension de recherches scientifiques sur le sujet. Cinq des sept facteurs en question reposent directement sur une question de mobilisation de la motivation personnelle. Donc, il importe de comprendre que sans motivation, il ne peut y avoir de véritable congruence (de soi, de ses actions, etc.), et vice-versa!
 
[1] Ryan, R. M., et Deci, E. L. (2000). « Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being ». American Psychologist, 55(1), 68.
[2] Brewer, S.S. (2008). « Rencontre avec Albert Bandura : l’homme et le scientifique ». L'orientation scolaire et professionnelle, 37(1), 29-56
[3] Da Motta Veiga, S. O. et Gabriel, A. S. (2016). « The role of self-determined motivation in job search: A dynamic approach ». Journal of Applied Psychology, 101(3), 350-361.