Avant même que les jeunes élaborent leurs propres projets d’études, de carrière, de vie, ils sont déjà le projet de leurs parents! En les éduquant, à leur manière, selon des valeurs et des normes propres à chaque famille, les parents s’intéressent au devenir quotidien de leur enfant, de la maternelle à l’entrée dans l’âge adulte, puis au-delà. La majorité des jeunes rencontrés au cours des dernières années dans le cadre de mes recherches sur les processus de prise de décision de carrière (1, 2, 3, 4, 5) témoignent d’une appréciation de l’intérêt et du soutien que leurs parents accordent à leur devenir professionnel. En avant-plan, le soutien financier, matériel, logistique et résidentiel joue un rôle déterminant sur la manière dont devront s’organiser les études : hébergement, travail étudiant, temps d’études disponibles, vie sociale et matérielle, etc. En arrière-plan, en matière de conseil, d’information, d’encouragement, d’aide directe, c’est plus ambigu. Entre autres, il ne suffit pas au parent d’offrir un soutien pour être soutenant du point de vue de son enfant.
Tel que mis en lumière dans le livre L’Ado en mode décision : Sept profils pour mieux comprendre et aider son choix de carrière (6), plusieurs jeunes hésitent, voire sont inconfortables ou réfractaires, à parler librement de leurs aspirations scolaires et professionnelles avec leurs parents. Dans ma thèse doctorale portant sur le rôle des relations sociales sur la construction de projets de jeunes à l’entrée dans l’âge adulte (7), j’ai pu relever certains phénomènes intrapersonnels (comment ça se passe dans la tête et les émotions du jeune?) et interpersonnels (comment ça se passe dans les attitudes et les comportements avec leurs parents?) lorsqu’il est question de soutien parental en matière de prise de décision de carrière.
L’injonction parentale
« Mon enfant, je tiens vraiment à ce que tu fasses ce que tu veux comme carrière, que tu poursuives tes intérêts et exprime au meilleur tes capacités… « MAIS » pourvu que cela soit sécuritaire et stable sur le plan financier. » Il y a de l’inquiétude, mais aussi beaucoup d’amour dans cette phrase. Être parent, c’est vouloir le meilleur pour son enfant. Toutefois, dans « la manière » d’accompagner la transition vers l’autonomie adulte, le parent pourra toutefois miser davantage sur un rôle « éclaireur de ses propres expériences » que de « conseiller soutenant ». Dans le premier cas, il voudra tellement que son enfant ne tombe pas dans les pièges de la vie qu’il a lui-même, au même âge, eu l’occasion d’observer ou d’expérimenter, sinon d’éviter, qu’il pourra être tenté d’imposer ses idées, ses façons de voir, les « bonnes » manières (logiques et universelles) d’agir. Et c’est là que souvent le parent rencontrera un mur, une réaction défensive ou d’évitement de son enfant. Ce dernier ne se reconnait pas ou n’a pas encore expérimenté par lui-même cette vie pour accepter cette influence sur ses attitudes et ses comportements en matière d'orientation.
Même lorsqu’il affirme ne pas accorder d’importance aux autres, l’enfant souhaiterait pouvoir compter sur l’approbation de ses parents dans ses démarches, dans ses choix. L’image positive projetée par ses parents, ce que j’ai nommé la « contre-influence parentale » (7), est source de cohérence pour le jeune en décision : Je me sens plus libre, plus confiant, je m’estime mieux lorsque je sens de la cohérence avec le reflet, l’image de moi, que me renvoient mes parents sur mes actions.
Lorsque l’écart devient trop grand entre ses types d’aspirations scolaires et professionnelles, ainsi que son besoin d’autonomie en regard des attentes parentales, il y a alors rupture avec le projet parental. Certains jeunes se soumettront, faute de se sentir assez forts (ou pas assez accompagnés) pour mener seuls leur combat, d’autres se distanceront pour échapper à une pression parentale souvent induite, implicite, par des mécanismes de protection empreints d’attitudes et de comportements d’évitement, du mutisme, sinon de défense réactionnaire.
Compétences relationnelles de base
Il y a des stratégies communicationnelles et d’action que peuvent mettre en œuvre les parents dans le désir d’accompagner le développement autonome de la prise de décision de carrière de leur enfant. J’approfondirai davantage à ce sujet dans une prochaine chronique par des compétences plus spécifiques et avancées. Entretemps, je vous invite comme parent à prendre en compte ces compétences relationnelles de base (des attitudes en fait) dans toutes vos approches et vos communications avec votre enfant si vous voulez augmenter vos chances de jouer un rôle constructif dans leur devenir professionnel. Ces descriptions sont tirées de mon livre coécrit avec ma collègue Lise Lachance (6)
- Présence et écoute. Manifester sa disponibilité, son écoute et son désir sincère de mieux comprendre l’autre dans l’expression de son vécu subjectif, tant de manière verbale que de manière non verbale, parfois sans même parler.
- Empathie. Voir le monde à partir des « lunettes » de la personne devant soi, à partir des références de pensées, d’émotions et de comportements de cette dernière. Faire preuve d’une grande sensibilité en regard de la manière dont la personne module l’expression de son vécu.
- Authenticité : Se montrer honnête et congruent dans la communication de ses pensées, de ses émotions et de ses comportements auprès de l’autre, ouvert à reconnaitre et partager ses contradictions, son inconfort ou sa vulnérabilité face à l’autre.
- Respect. Accepter l’autre de façon inconditionnelle, sans jugement. Se laisser porter par une considération positive à l’égard des ressources, du potentiel et des droits de l’autre, ainsi que de ses réalités et de ses enjeux, et ce, même si cela ne rejoint pas notre propre façon de penser, de ressentir et d’agir.
- Spécificité. Nommer et faire nommer avec exactitude et précision le vécu subjectif de la personne devant soi. L’amener à mieux s’explorer, se clarifier, se centrer, de manière concrète et précise, sur ce qui est l’expérience juste de ce qui se passe « ici et maintenant ».
(1) Cournoyer, L., et Lachance, L. (2014). Le processus de prise de décision liée à la carrière chez des élèves de 4e et de 5e secondaire de la Commission scolaire de Laval : rapport final. Montréal : UQAM. Document accessible à https://fr.slideshare.net/louisco/cournoyer-et-lachance-2014-le-processus-de-prise-de-dcision-relative-la-carrire-final
(2) Cournoyer, L., Lachance, L., et Dostie, S. (2015). Perspectives cognitives, comportementales et sociorelationnelles de la prise de décision de carrière chez les élèves de cinquième secondaire : résultats descriptifs du volet quantitatif. Document inédit. Montréal : Université du Québec à Montréal. Document accessible à https://fr.slideshare.net/louisco/ournoyer-l-lachance-l-et-dostie-s-2015-perspectives-cognitives-comportementales-et-sociorelationnelles-de-la-prise-de-dcision-de-carrire-chez-les-lves-de-cinquime-secondaire-rsultats-descriptifs-du-volet-quantitatif
(3) Cournoyer, L., Fortier, S. et Deschenaux, F. (2016). Dimensions traversant le processus décisionnel conduisant à la poursuite d’études en formation professionnelle au Québec et en Ontario : entre expériences passées et espoirs. L’Orientation scolaire et professionnelle, 45(4), 449-472. Document accessible à https://journals.openedition.org/osp/5265
(4) Cournoyer, L. (2011). Le rôle des relations sociales sur l’évolution des projets professionnels. Dans S. Bourdon et J. Charbonneau (dir.), Regard sur … les jeunes et leurs relations (p. 141-156). Québec : Presses de l’Université Laval.
(5) Cournoyer, L., Lachance, L. et Samson, A. (2016). L’action décisionnelle de carrière : processus en deux dimensions, quatre tensions. Dans J. Masdonati et L. M.C. Bangali (dir.). Éducation et vie au travail : Arrêt sur image! Perspectives contemporaines sur les parcours d’orientation des jeunes (p. 119-148). Québec : Presses de l’Université Laval.
(6) Cournoyer, L. et Lachance, L. (2018). L’Ado en mode décision. 7 profils pour mieux comprendre et aider son choix de carrière. Québec : Septembre éditeur.
(7) Cournoyer, L. (2008). L'évolution de la construction du projet professionnel de collégiennes et de collégiens lors des 18 premiers mois d'études : le rôle des relations sociales. Thèse doctorale. Sherbrooke : Université de Sherbrooke. Document accessible à http://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/937