Handicap et identité : le fait d’avoir un trouble neurologique influence-t-il la construction de l’identité professionnelle?
Paru le 18 janvier 2018
Par Émilie Robert, conseillère d’orientation au Collège Montmorency et auteure
À la télévision, dans les médias et, surtout, dans le milieu scolaire, on entend de plus en plus parler de personnes ayant un trouble neurologique. Ces troubles sont maintenant mieux connus, ces personnes sont moins stigmatisées et de plus en plus de personnalités publiques annoncent qu’elles ont l’un de ces troubles. On a vu apparaitre, d’abord aux États-Unis et maintenant au Québec, le principe de « neurodiversité », qui défend le droit à la différence neurologique, comme c’est le cas pour l’appartenance ethnique ou l’orientation sexuelle.
L’autisme et le trouble de déficit de l’attention (TDAH) font partie de cette différence neurologique. Ce sont des troubles chroniques, dont les manifestations peuvent varier grandement avec l’apprentissage, la médication, la maturité ou un mélange de ces trois facteurs. Ces troubles ont un impact sur le comportement, les relations interpersonnelles, la façon d’apprendre et le rendement scolaire. En quoi cela peut-il influencer la construction de l’identité professionnelle de ces jeunes?
Impacts sur l'image de soi
Tout d’abord, on peut penser qu’une importante proportion de ces jeunes ont une image d’eux négative et une faible estime d’eux-mêmes. Ils sont considérés comme différents, voire étranges, par leurs pairs et sont souvent traités différemment par leurs parents ou le personnel scolaire. Ils ont moins d’amis et peuvent avoir des difficultés d’apprentissage et cumuler des échecs scolaires. La majorité des jeunes ayant un trouble neurologique ont aussi dû consulter des médecins, des psychiatres et des psychologues dès un très jeune âge. Ils ont souvent d’autres troubles de santé, physique ou mentale. À titre d’exemple, au Québec, les jeunes de 17 ans et moins ayant un TSA consultent deux fois plus un médecin que ceux n’ayant pas ce trouble[1]. Ces jeunes sont appelés à s’absenter plus souvent de l’école pour des rendez-vous médicaux, des problèmes de santé ou des situations de crise. Ils peuvent être perçus par leurs pairs comme « faibles » ou « malades ». Cela peut les amener à s’imaginer comme de futurs travailleurs ne pouvant pas avoir de grandes responsabilités ou n’étant pas capables de travailler sous pression. J’ai rencontré des étudiants autistes qui ne croyaient pas être capables de travailler à plein temps en raison de cette impression de ne pas être « assez forts » pour soutenir une grosse charge de travail. Pourtant, quelques-uns d’entre eux ont obtenu un emploi d’été à plein temps et ont eu un excellent rendement.
Impacts sur les choix
Si ces jeunes peuvent se diminuer dans leur image de soi comme futur travailleur, ils peuvent aussi s’autoéliminer de certains domaines professionnels. Il n’est pas rare d’entendre un jeune autiste dire qu’il ne pourra pas être enseignant puisqu’il a de la difficulté à parler devant un groupe, ou d’entendre un jeune ayant un TDAH dire qu’il ne pourra pas être gestionnaire puisqu’il a de la difficulté à s’organiser ou à prendre des décisions. Bien que cela semble « évident », l’apprentissage, la maturité et les conditions de travail peuvent permettre à une personne ayant des lacunes dans certaines compétences de pouvoir tout de même occuper ce travail. Les parents ou conseillers d’orientation de ces jeunes doivent les encourager à garder l’esprit ouvert et à considérer l’ensemble de leur profil d’habiletés. La personne autiste passionnée de biologie pourra transmettre sa passion et son savoir à des étudiants universitaires. Le jeune ayant un TDAH pourra miser sur son haut niveau d’énergie et son « brin » d’impulsivité pour prendre des risques dans le monde des affaires. Tous deux auront intérêt à s’entourer de collègues ou de mentors pour les guider dans les dimensions qui leur sont plus difficiles, mais ils pourront faire d’excellents professionnels dans leur domaine.
Il en va de même pour les résultats scolaires. Une grande proportion de jeunes ayant un TDAH ont de la difficulté dans certaines matières au secondaire et au collégial, et cela peut amoindrir leurs chances d’être admis dans un programme postsecondaire contingenté. Toutefois, certains pourront tout de même accéder à la profession convoitée en passant par d’autres chemins (voir la chronique « Des détours qui mènent parfois à des raccourcis »).
Reconnaitre ses atouts
Sans tomber dans le piège des stéréotypes, il vaut la peine d’encourager ces jeunes à voir comment leur condition neurologique peut leur apporter certains avantages que les jeunes « typiques » n’ont peut-être pas. Si d’avoir un TDAH désigne généralement une difficulté à se concentrer, à ne pas pouvoir faire plusieurs choses en même temps et à avoir un pauvre sens de l’organisation, ou que l’autisme implique des difficultés à communiquer et à interagir avec les autres, ces facteurs peuvent favoriser des compétences propres à ce profil neurologique. Ceux qui ont un TDAH sont souvent très créatifs. Ils tourbillonnent d’idées et ont en général beaucoup d’énergie. Les personnes autistes sont généralement habiles pour approfondir un sujet, comme peu de personnes neurotypiques peuvent le faire. Elles ont des capacités de perception différentes et peuvent détecter des failles ou des erreurs à peine visibles par les autres. Ce sont là des avantages comparatifs par rapport aux autres, et c’est là où prend son sens le principe d’une identité commune, basée sur les aptitudes et intérêts issus de ce profil neurologique.
Bref, les troubles neurologiques influencent certainement comment les personnes construisent leur identité, souvent de manière négative, mais il y a moyen de regarder ces différences sous un autre angle pour que les jeunes se voient comme de futurs travailleurs ayant une place de choix dans le monde du travail. Depuis peu, les jeunes ayant ces troubles peuvent y trouver une force, voire un groupe d’appartenance. Toutefois, il ne faut pas oublier que les jeunes autistes ou ayant un TDAH sont avant tout des Jasmin, des Antoine, des Félix ou des Rosalie… Avec leur personnalité propre et toute l’unicité qui caractérise chaque être humain.
[1] Rapport de surveillance concernant le trouble du spectre de l’autisme (TSA) au Québec, INSPQ, Gouvernement du Québec, 2017