Bien transiter; du secondaire au collégial, du collégial à l’université
Paru le 02 mai 2017
Par Louis Cournoyer, professeur en counseling de carrière et directeur de la Clinique Carrière à l'UQAM, conseiller d’orientation et superviseur clinique
Le passage des études secondaires au collégial, ou du collégial vers l’université, s’accompagne de plusieurs transformations et transitions tant sur le plan personnel, scolaire que social[1]. Comment réussir son entrée?
Avant de fournir des réponses, je vous propose des questions clés sur lesquelles discuter dans cette chronique : 1) Qu’est-ce qu’implique le passage du secondaire au cégep, ou du cégep à l’université, chez les jeunes?; 2) Comment ce changement peut-il être vécu par les jeunes?; 3) Comment se donner des moyens pour réussir son entrée au cégep ou à l’université?; 4) Que faire lorsque l’on n’est plus certain de son projet d’études?
Cette chronique s’inspire d’une entrevue donnée à Radio-Canada Estrie en 2006[2], ainsi que de réflexions dans le cadre de mon enseignement, de mes recherches et de ma pratique. Entre autres, ma thèse de doctorat, déposée en 2008[3] et qui demeure à mon avis d’actualité, s’inscrivait dans un projet plus vaste portant sur la persévérance aux études supérieures.
Question 1 : Qu’est-ce qu’implique le passage du secondaire au cégep, ou du cégep à l’université, chez les jeunes?
Grosso modo, cela veut dire « gérer plusieurs nouveautés »!
D’abord, cela implique de réussir son ajustement à un nouvel environnement d’études. C’est se regrouper dans du plus grand, et conséquemment, de se sentir plus petit! Non seulement les écoles secondaires sont parfois plus petites que les cégeps, mais ces derniers sont à leur tour souvent plus petits, physiquement parlant, que les universités.
Ensuite, le rythme d’apprentissage est plus rapide et les échéances de remises de travaux plus courtes. On travaille désormais sur un calendrier trimestriel, autant au collégial qu’à l’université, et non plus annuel. Également, le rôle et les types de soutien accordés par les enseignants sont différents. Au secondaire, l’élève est sous la responsabilité de tous au sein d’un plan de développement global. Au collégial, et davantage à l’université, le rapport est de plus en plus centré sur le contenu des apprentissages (la matière ou le savoir). Pour les questions de soutien, les collèges et les universités ont généralement des services spécialisés qui, en principe, collaborent avec les enseignants (cégeps) et les professeurs (universités).
Enfin, passer du secondaire au cégep, ou du cégep à l’université, c’est connaitre de nouvelles personnes et obtenir l’espace nécessaire pour assumer la responsabilité de son autonomie personnelle, souvent en quittant le domicile familial pour aller vivre en appartement. Puis – on se le souhaite – c’est savoir plus précisément ce que l’on veut faire de sa vie et comment nous souhaitons la vivre.
Question 2 : Comment ce changement peut-il être vécu par les jeunes?
C’est très variable d’un jeune à un autre, notamment selon la personnalité, les expériences antérieures et la qualité du soutien accessible et disponible. Certaines personnes peuvent sentir qu’elles ne trouvent pas leur place dans ce nouvel environnement, et conséquemment se retirer, puis s’isoler socialement. D’autres peuvent refuser de vivre le deuil pourtant nécessaire et normal de la phase précédente, en tentant de maintenir un mode de vie, de fonctionnement, de vie sociale qui n’est plus, et qui doit être renouvelé. Si l’individu demeure le même, l’environnement, lui, a changé.
Ce changement peut également mener à une forme de fuite vers l’avant. Plutôt que de ressentir le changement, de l’accepter, de le porter, avec toutes les émotions parfois agréables, parfois difficiles, que cela entraine, la personne fonce dans une démarche effrénée de performance ou de crainte de craquer si jamais elle s’arrêtait. Ce changement peut toutefois être vécu de manière saine ou « autorégulée », c’est-à-dire par une ouverture prudente et respectueuse de soi, à son rythme, en fonction de ses besoins de soutien et en acceptant que pour bien vivre les choses, il faut oser les essayer.
Enfin, il faut aussi souligner que la transition des études secondaires vers le collégial, sinon du collégial vers l’université, peut constituer une véritable « libération » chez la personne. Nous avons tous connu des personnes qui académiquement, sinon socialement ou familialement, en arrachaient et qui en changeant d’environnement, se sont alors donné l’occasion de vivre un nouvel « essai identitaire », c’est-à-dire de pouvoir se développer sans le poids des regards du passé et sans étiquettes préalables.
Question 3 : Comment se donner des moyens pour réussir son entrée au cégep ou à l’université?
Accepter de vivre et de traverser le deuil
C’est normal d’être triste, de vivre de la colère, d’être un peu perdu. Attention; accepter ne veut pas dire renoncer ou demeurer passif. C’est plutôt une stratégie d’ajustement ou d’autorégulation, pour ne pas se soumettre passivement à la situation, l’éviter ou compenser grâce à autre chose. C’est essentiellement accepter que pendant que nous faisons les efforts pour transiter, nous portons une souffrance plus ou moins importante… et c’est normal! À ce moment, il importe de parler de ce que l’on vit avec des gens qui nous écoutent, qui veulent nous voir aller de l’avant dans notre vie. Une chose est sure : le passé n’est plus et ne reviendra plus jamais… De même, il faut aller à son rythme, toujours un petit pas vers l’avant chaque jour, sans s’en trop s’en demander.
S’ouvrir à son nouveau milieu
Il peut être aidant de faire connaissance avec le milieu, son personnel ainsi que les autres étudiants. Pourquoi ne pas participer à des activités sociales lors de la rentrée : journées d’initiation ou de défi étudiant, party, activités de programme ou rencontres sociales organisées. Sinon, s’engager dans des activités parascolaires : théâtre, sports, groupes divers, associations étudiantes, etc. C’est bien de découvrir le milieu scolaire, mais aussi, le cas échéant, la nouvelle ville d’accueil. Il faut prendre les moyens pour faire sa place.
S’organiser pour réussir
Les études collégiales ou universitaires ne sont pas un « sprint », mais un « marathon ». Il ne sert à rien de donner des « bourrées », mais plutôt de s’investir dans une vie scolaire, personnelle et sociale organisée et disciplinée, qui mise sur l’équilibre et la disponibilité continuelle d’énergie. Nous parlons ici d’étudier quelques heures chaque jour, plutôt que dix ou douze heures à la dernière minute. Également, il importe d’évaluer le temps de travail à temps partiel raisonnable pour demeurer performant et alerte dans les études, tout en veillant à assurer les besoins financiers et la conciliation loisirs/études.
Obtenir le soutien nécessaire à l’autonomie
Être autonome est différent d’être indépendant. La personne indépendante souhaite dépendre de personne, miser exclusivement sur elle-même, en regard de ses ressources personnelles. La personne autonome sait optimiser l’usage de ses ressources personnelles, mais également celles de son environnement, pour arriver plus rapidement à ses fins et à la satisfaction de ses besoins. Donc, en cas de difficultés personnelles ou scolaires, il est bon d’aller chercher le soutien nécessaire. Cela peut se faire auprès d’un professeur, d’un professionnel de l’école, d’un collègue de travail ou de classe, d’un ami, voire de toute personne significative pour soi et digne de confiance, à l’écoute ainsi que source d’inspiration et de motivation. Il est important de ne pas oublier qu’il existe, dans les cégeps et les universités, des services à la vie étudiante pouvant répondre à différents besoins selon les caractéristiques : services psychologiques ou d’orientation, ateliers de gestion du stress, etc.
Question 4 : Que faire lorsque l’on n’est plus certain de son projet d’études?
Il ne s’agit pas ici de maintenir ou de changer, mais surtout de ne pas le faire trop vite, de manière impulsive et trop émotive. Comme le dit l’expression : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Dans le cas de la persévérance aux études, il faut savoir que les périodes de transition sur le plan scolaire (comme les transitions amoureuses, professionnelles, parentales, etc.) demandent beaucoup d’énergie et peuvent nous débalancer. Il arrive aussi que le programme d’études choisi et les cours offerts ne répondent pas à nos attentes, surtout lorsqu’on arrive au cégep sans projet d’orientation précis. Toutefois, il est connu que la plupart des structures de programmes proposent des cours plus théoriques ou fondamentaux en début de parcours pour ensuite faire place à ceux centrés sur des applications plus pratiques.
Nous pouvons alors penser que si l’on n’est pas bien, c’est que l’on n’est pas au bon endroit. Et si ce type d’inconfort, d’indécision ou d’incertitude faisaient partie d’une phase normale de transition amorcée, mais pas encore traversée? Comme je l’indiquais dans une précédente chronique intitulée « Trois façons de travailler votre orientation », l’indécision de carrière n’est ni un problème ni une fatalité, mais bien une phase normale à tout processus de changement (profitable) dans la vie d’un individu.
Que faire alors?
1. Prendre le temps d’explorer ses difficultés décisionnelles par un simple exercice d’autoévaluation de ses difficultés de prise de décision de carrière, donc possiblement de ses besoins d’orientation.
2. Examiner plus particulièrement ses croyances d’efficacité et les différents types de motivations qui nous habitent. Pour cela, s’inspirer de la chronique « Le pouvoir – temporaire, contextuel et limité – des motivations extrinsèques ».
3. Engager une réflexion sur soi afin de trouver plus de congruence entre qui on est, ce qui se passe, ce qu’on veut et ce qu’on fait ou ce que l’on peut faire. Voici une chronique sur le sujet : « Interroger son bienêtre : une question de congruence engagée! ».
En dernier lieu, avant de tout abandonner, il faut aller chercher le soutien dont nous avons besoin pour obtenir du soutien affectif, mais aussi des conseils et des avis d’initiés sur ce qui peut s’offrir à nous. Cela peut se faire en discutant de façon approfondie avec un conseiller d’orientation, un expert des transitions socioprofessionnelles. Pour trouver un conseiller d’orientation, consultez le site de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ).
Bidart, C., Mounier, L. et Pélissier, A. (2002) La construction de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes à l’épreuve du temps. Une enquête longitudinale. Rapport final. Recherche financée par la Délégation interministérielle à l’insertion des Jeunes, Ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.
Disponible en ligne.
Disponible en ligne.
Bourdon, S., Charbonneau, J., Cournoyer, L. et Lapostolle, L. (2007). Famille, réseaux et persévérance au collégial, Phase1. Rapport de recherche. Sherbrooke : Équipe de recherche sur les transitions et l’apprentissage, Université de Sherbrooke.
[2] Cournoyer, L. (2006). S’instruire est-il toujours s’enrichir ? Chronique à l’émission Estrie Express, Radio-Canada, 7 décembre 2006.
[3] Cournoyer, L. (2008). L’évolution de la construction du projet professionnel de collégiennes et de collégiens lors des 18 premiers mois d’études : le rôle des relations sociales. Thèse de doctorat. Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke. Disponible en ligne.